En mars 2020, c’est le choc. Le virus, les autorisations de sortie, le confinement. Je suis terrorisée. J’ai participé à la campagne des élections municipales à Montreuil en tractant, en me rendant à des réunions publiques et en tenant le bureau de vote jusqu’à la fin du dépouillement. Une amie, plus jeune et nettement plus engagée que moi dans la campagne, est atteinte de ce virus encore inconnu. Elle est clouée au lit pendant plusieurs semaines et est hospitalisée. Elle s’en sortira. Pendant ce temps-là, je me dis que moi aussi je peux avoir contractée cette chose, que je suis sans doute contagieuse et je me terre chez moi pour être bien certaine de ne contaminer personne. Je suis toutes les mesures annoncées scrupuleusement sans réfléchir. Je ne peux plus penser, la peur me paralyse le cerveau. Je m’en rends compte et ça rend la situation encore plus douloureuse. Pour autant, je sens, comme beaucoup d’entre nous, qu’il est en train de se passer quelque chose qui dépasse la question sanitaire. Mon monde s’arrête, mon mode de vie est en suspens. Et j’ai l’impression que je ne le « retrouverai » plus jamais. Une angoisse est là, tapie dans l’ombre. J’étouffe. J’ai besoin d’agir, besoin de bouger, besoin de partir de cette région pour me prouver que je suis encore vivante et libre. En quelques mois, l’aspiration à changer complètement d’environnement se précise. Je veux vivre en milieu rural, j’ai besoin de me sentir appartenir à la terre, aux éléments, à la vie, à la « nature ». Parallèlement, une autre aspiration monte. Celle de participer de façon beaucoup plus active à l’intérêt général. Je veux devenir fonctionnaire, agent de la fonction publique. Plutôt en lien avec les maires, les élus locaux et les intercommunalités. Car ce sont eux qui sont en prise directe avec les habitants. A la rentrée de septembre 2020, l’activité de conseil reprend, je suis la tendance. Mais en octobre, le 2ème confinement est annoncé. Je m’en souviens parce que c’est le jour de mon anniversaire. Je m’effondre chez moi, dans mon petit appartement de 30 m² à Montreuil. M’échapper, c’est vital. Dans les jours qui suivent, je lance des balles dans plusieurs directions : les Parcs Naturels Régionaux et les nouveaux « tiers-lieux » labellisés. Je prends la carte de France, j’écarte les régions que je connais déjà (Bourgogne-Franche Comté, Hauts de France et Ile de France) et je garde toutes les régions de l’ouest du pays. Ainsi que la Lozère (souvenirs de vacances) et l’Ardèche (1ère candidature « test » pendant l’été). Et aussi l’Isère pour Grenoble (il se passe des choses intéressantes). Je suis très surprise par le taux de retour : sur une trentaine de messages, je vais avoir la moitié de réponses dans les 2 jours, c’est incroyable. Parallèlement, je décide d’écrire à nos parlementaires pour leur demander qu’ils m’expliquent le sens des mesures qui sont prises, que je ne comprends pas. Comme tous les citoyens de ce pays, j’ai envie de soutenir les mesures qui sont prises, pour participer à l’effort collectif. Sauf que pour se faire, j’ai besoin de comprendre, pour adhérer à ce qui est mis en place. J’écris donc aux responsables des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale et du Sénat. Mes questions sont très simples et consistent à comprendre sur quelles bases les décisions sont prises. J’aurais une réponse d’un groupe du Sénat. C’est peu mais c’est déjà bien. Le retour est limpide : on me communique la prise de parole du groupe en question, elle-même truffée de questionnements indiquant qu’eux non plus, parlementaires, ne disposent pas de réponse. Aucune donnée, aucune réponse à mes questions n’y figure. Du côté de mon lancé de balles, la Lozère est le département le plus réactif. Je commence par une candidature dans une super association lozérienne et je décroche un entretien au siège à Albi. J’y vais. Puis je vais passer une première semaine en immersion du côté de Mende et alentours. En quelques jours, j’obtiens 3 rencontres professionnelles et je prends contact avec plusieurs personnes qui aspirent à construire un projet d’habitat partagé. C’est là-bas qu’on me parle d’un tout nouveau programme qui vise à renforcer les petites communes rurales en redonnant aux maires et aux intercommunalités des moyens d’action. Pour mieux répondre aux besoins des habitants. C’est décidé. C’est par cette porte que je vais entrer dans la fonction publique territoriale. D’abord en tant que contractuelle. Je veux être au service des habitants, au côté des élus locaux qui sont pour moi les héros de notre République. Je décroche deux autres entretiens d’embauche dans le Gévaudan. J’arrive en « short-list » mais c’est non. C’est dans la Manche, donc en Normandie, que j’aurais une proposition de poste suite à mes dizaines de candidatures ciblées sur ce programme. J’atteins mon but une fois encore. Grâce à toutes les rencontres récemment réalisées, et surtout grâce à une amie qui s’est installée dans la Manche depuis 2019 et qui me conseille sur le ciblage des communes. Je prends mon poste dès la fin du mois de mai 2021. Je le quitterai dès la fin du mois de septembre 2021. Mais je ne regrette absolument pas d'avoir tenté cette nouvelle aventure professionnelle. Tout va bien pour moi alors ? En un sens oui, et dans un autre, rien ne va plus. Car depuis mars 2020, rien n’y fait, je ne reconnais plus mon pays. Comme s’il était anesthésié par l’atmosphère qui règne depuis de longs mois. C’est comme si tout ce qui faisait sa force et notamment toutes ces énergies qui m’ont permis de me construire, comme si tout ceci était en train d’être balayé d’un revers de main. Une valeur, c’est avant tout ce qu’on appelle une « force de vie » il me semble. Ce ne sont pas que des mots ni qu’une belle plaque posée aux frontons de nos institutions et de nos mairies. Et depuis mars 2020, je ne ressens que des forces de mort. Avec tous ces chiffres qui nous sont balancés à la figure chaque jour, égrenés un à un. Là à l’instant, nous sommes mi-décembre 2021, je viens de voir un article au sujet d’un enfant de 6 ans qui ne portait pas de masque à l’école et qui se serait retrouvé à la rue. Un enfant de 6 ans, mis dehors par l’équipe qui est censée prendre soin de lui et lui donner des ressources pour qu’il se développe au mieux. C’est indigne. Est-ce que vous vous rendez compte de ce qu’il se passe maintenant depuis 2 ans ? Vous rendez-vous compte de ce que nous sommes toutes et tous en train de cautionner en ne réagissant pas (plus que ça) ? Pour ma part, c’est terminé. Ma patience vient d’atteindre ses limites. J’ai accepté d’être patiente, calme et compréhensive à l’égard de nos représentants. Je leur écris de façon la plus constructive possible depuis maintenant un an. Mais je ne vois rien venir de leur côté, malgré des prises de position très courageuses, pour ne pas dire héroïques, d’un tout petit nombre d’entre eux à l’Assemblée nationale (Martine WONNER) et au Sénat (Laurence MULLER-BRONN). Où sont les autres ? Qu’attendent-ils ? Et la mobilisation me semble encore largement insuffisante du côté des journalistes. Ma question est la suivante : vous avez peur de quoi au juste ? D’après vous, il va se passer quoi si on s’en tient là ? Les ténèbres, nous y sommes. Ça vous plaît ? Moi pas. Les questions qui se posent à nous aujourd’hui sont en fait très simples : d’abord, comment se fait-il que nos dirigeants soient encore en place à l’heure où je vous parle, sincèrement ? Ensuite, comment dire non, comment refuser, comment nous soustraire aux injonctions, aux mesures et aux obligations indirectes (dans le cas elles sont inadaptées voire dangereuses) ? Comment résister ? Comment rester libre ? Comment rester fidèle à soi-même dans un tel contexte ? Comment nous protéger nous-mêmes ? Comment protéger notre famille et celles et ceux qui nous sont chers ? Comment nous protéger collectivement, à l’échelle de la société et des sociétés à travers le monde ? C’est inévitable pour moi : je ne peux pas aspirer à accompagner des projets, des équipes et des organisations qui favorisent l’émancipation individuelle et collective et me taire sur ce qu’il se passe. Le silence n’est plus une option dans mon cas. Il se peut que cet article signe la fin de toute activité pour moi, car même si je suis consultante en stratégie, je ne suis compétente qu’en matière de construction et de mobilisation en « temps de paix ». Je n’ai donc pas pris la peine de me demander plus avant quelles seraient les conséquences de cet article ni comment je serai perçue demain par les uns et les autres. Parce que l’heure est trop grave pour que je me lance dans des calculs ou des anticipations. Il est temps pour moi de dire non et de l’exprimer avec les moyens – très modestes – qui sont les miens. Je pense qu’il ne revient pas aux plus jeunes de se révolter, mais bien aux moins jeunes, à nous, qui avons déjà bien avancé dans nos vies. C’est à nous de montrer la voie aux plus jeunes, à nous de leur montrer qu’il y a d’autres perspectives, à nous de créer les conditions pour que leurs vies s’éclaircissent un peu, pour qu’ils puissent entrevoir une lumière au bout du tunnel. Et ne nous y trompons pas : le problème ne se situe pas entre ceux qui ont « choisi » de se faire vacciner et ceux qui ont « choisi » de ne pas le faire, ni entre ceux qui ont « accepté » de jouer le jeu du passe sanitaire, et ceux qui pour l’instant le « refusent ». Le problème selon moi se situe ailleurs : au niveau de celles et de ceux qui nous mettent devant un choix littéralement impossible entre d’une part sauvegarder une vie relativement normale (avec vaccination et passe) et d’autre part sauvegarder sa liberté et accessoirement sa santé. Puisque nous savons tous que les injections que nous nous voyons « proposées » ont un caractère expérimental et qu’à ce titre, rien ni personne ne peut nous garantir quoi que ce soit, pas mêmes les laboratoires dont je rappelle qu’ils ont réussi à se décharger de toute responsabilité en cas de « problème ». En revanche, prendre un risque pour sa propre santé (en se faisant vacciner) est une chose, en faire prendre à ses propres enfants en est une autre. Aussi, pour parvenir à protéger nos propres enfants, sans doute devons-nous apprendre à nous protéger nous-mêmes, en tant qu’adultes. Je recommanderai donc aux parents d’aller chercher directement par eux-mêmes les rapports de la pharmacovigilance française (sur le site de l'ANSM) d’une part, et de se procurer les rapports qui ont été rendus par les experts indépendants sur la vaccination des enfants d’autre part, avant toute prise de décision quant à leurs bambins. Si vous ne les trouvez pas rapidement par vous-mêmes, adressez-vous aux organisations qui se sont montées depuis un petit moment pour tenter de « contrer » la propagande qui nous est infligée. Si vous cherchez, vous trouverez. Serrons-nous les coudes, entraidons-nous. Ma contribution du jour pour les enfants, pour les jeunes, pour les parents et pour les grands-parents est un extrait du Sens du Bonheur, de Jiddu Krishnamurti : « Vous ne pouvez ni chercher, ni observer, ni apprendre, ni être profondément conscient des choses si vous avez peur. La fonction de l’éducation est donc assurément d’éradiquer en soi et en dehors de soi cette peur qui détruit la pensée humaine, les rapports humains et l’amour. » Je suis tombée d’émerveillement en redécouvrant ces mots. Quel écho avec ce que nous traversons n’est-ce pas ? Ce bouquin date de 1964. Partout en France et dans le monde, il y a des gens qui résistent, qui se battent, qui se révoltent. Ces mobilisations ne sont pas rendues visibles, mais elles sont bien là. Partout des gens s’activent comme des fourmis. Imaginez que nous parvenions en France à nous mobiliser par millions prochainement, imaginez que le compteur de participation aux manifestations monte à 2 millions par exemple ? Ce qui signifierait que nous soyons en réalité 10 millions à sortir. La fatalité, ça n’existe pas. Et je préfère livrer bataille et perdre plutôt que de rester résignée en pensant que tout est plié. J’ai besoin d’apprendre à être courageuse. Oui, j’ai très peur en publiant cet article. Mais dites-moi au juste, que serait devenu notre pays il y a plusieurs décennies si personne n’était parvenu à être courageux malgré la peur et la terreur ?
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Après 2 ans de plus en fac à Dijon (Licence et Maîtrise), un concours d’entrée dans une école de Bordeaux, 5 candidatures déposées pour accéder à un Master pro pour travailler dans le commerce équitable « historique », c’est-à-dire orienté solidarité internationale, et un entretien de sélection à l’Université de Rennes, je n’ai presque plus de perspectives. Presque. En clair, je n’ai pas le profil pour intégrer ces Master parce que mon CV ne justifie pas de mes capacités d’adaptation à l’étranger. En effet, à ce moment-là, je n’ai pas d’expérience significative qui me permettrait d’argumenter sur ce point. Mais on m’explique que je peux tout à fait candidater pour faire un métier similaire, ici en France. Je tente alors une dernière candidature, nous sommes en septembre 2004. Là arrivent les premières rencontres les plus marquantes de ma vie : les gens du Nord. Je débarque à Valenciennes pour terminer mon parcours universitaire par une formation destinée au « développement local » et à « l’économie solidaire ». Des concepts, déjà à l’époque. Alors là c’est le tsunami, mais à l’envers : je découvre un pays où les habitants débordent littéralement d’amour et d’attention à l’autre. C’est extraordinaire ce que je vis là-bas. Entre une équipe pédagogique de l’Université de Valenciennes qui me propose 3 contacts pour décrocher un stage (pour être reçu il faut avoir un stage qui peut aboutir à une opportunité d’emploi à la fin de l’année de formation), un vieux militant de la solidarité internationale qui me briefe sur le commerce équitable, un militant plus jeune du bassin minier de Lens qui me propose un super stage pour créer un « magasin école de commerce équitable », les 15 étudiants de ma promotion venus des 4 coins de France, environ 30 intervenants professionnels qui viendront nous transmettre leurs connaissances, 40 habitants Valenciennois qui sont déjà repérés plus l’équipe d’animation qui me suit, j’apprends non seulement le métier d’agent de développement, mais je me forge une première expérience qui me permettra de trouver un premier (super) poste relativement rapidement (7 mois) et surtout : j’apprends à chercher ou plutôt à trouver du boulot. Une personne parmi cette multitude jouera un rôle capital en m’apportant un véritable tutorat que j’ai chiffré à un mi-temps (bénévolement) sur une année complète. Qu’est-ce que je serai devenue sans elle et sans eux ? Sincèrement je ne sais pas. Dans la même veine, il y aura mes employeurs et mes collègues : partout où je suis embauchée, partout je fais des rencontres assez magiques. Non pas parce qu’il s’agit d’associations. Ce n’est pas le statut associatif qui explique la qualité des rencontres ici, mais l’objet social de ces organisations (le commerce équitable, l’accès aux entrepreneuriats et l’accompagnement au développement de tous les secteurs de l’économie sociale et solidaire, puis le handicap) et surtout la passion des équipes pour leur métier. Partout, je bénéficie d’une sorte de « compagnonnage ». C’est fabuleux. Dans ce monde professionnel-là, on ne peut pas être dans une logique de carrière, ou très difficilement. Tous les 2 ou 3 ans, ayant fait le tour de mon poste, j’ai fait le pari de changer d’univers. Je me suis retrouvée plusieurs fois sans boulot, en mobilisant la rupture conventionnelle pour construire un nouveau projet, chose que je n’avais absolument pas le temps de faire au regard de l’énergie placée dans mes missions. Dans ces « intervalles », je fais aussi des rencontres tout à fait exceptionnelles, spécialement avec les gens de l’AVARAP [1] et les gens de SC Conseils [2]. Le point commun : la diversité des personnes et leur goût de l’autre. Enfin, il y aura les artistes, et spécialement les artistes de cirque contemporain. C’est le deuxième tsunami dans ma vie. Un spectacle sous chapiteau à La Villette en hiver. Avec des feux de joie qui brûlent en attendant d’entrer, la lune qui est là dans le ciel noir mais clair. La file indienne qui serpente dans la nuit. Une quiétude mêlée d’excitation avant d’assister à la magie qu’on pressent déjà sans savoir ce qui nous attend. Émerveillement, éclats de joie, rires aux larmes et larmes de beauté. Le spectacle vivant. Bouleversant. Je suis tellement émue par les propositions scéniques que je commence une pratique en amateur 6 mois plus tard. Cette pratique m’amènera à une entrée en formation professionnelle artistique à la rentrée de septembre 2017, puis à l’exploration des métiers de la production et de la diffusion dans les arts du cirque dès le mois de décembre 2018. Vous ne suivez pas ? Ce n’est pas très linéaire tout ça n’est-ce pas ? La première fois qu’on m’a expliqué que mon CV devrait être un enchaînement d’expériences « sans trou » dans lequel chacun de mes choix serait jugé et que les lecteurs (employeurs potentiels) détermineraient la cohérence de mon parcours et par là même la cohérence de ma candidature, j’y ai cru. Je ne sais plus exactement à quel âge et qui m’a balancé ça à la figure, mais le moins qu’on puisse dire c’est que ça m’a fait tellement peur que j’y ai cru et que j’ai tâché d’avoir un parcours de formation bien carré et bien rectiligne. Heureusement pour moi, j’ai réussi à me détacher de cette injonction à choisir un chemin et à s’y tenir faute de quoi je serai perçue comme « instable », comme quelqu’un qui ne « sait pas ce qu’elle veut » et donc comme quelqu’un qui ne serait jamais embauchée nulle part. De quoi cette vie – qui ne fait en réalité que commencée - est-elle le reflet d’après vous ? D’une certaine liberté n’est-ce pas ? J’ai eu la possibilité de dépasser mon propre horizon territorial (avec ma dernière année d’étude à Valenciennes puis une première installation en région Ile de France), mon horizon social (avec de la mixité dès l’école primaire, dans le club de sport puis dans mes choix professionnels) et mon horizon culturel (en allant au contact de modes de vie différents du mien, que ce soit en France ou dans d’autres pays). De mon point de vue, la France restera elle-même si elle permet à chacune et à chacun d’entre nous de dépasser les horizons qui lui sont donnés à la naissance. Rendre possible et désirable la rencontre avec l’autre que ce soit à côté de chez soi, à quelques kilomètres à la ronde, à l’autre bout du pays, du continent et du monde. Choisir sa vie, rêver et bien entendu atterrir en douceur en essayant d’être au plus près de ce à quoi on aspire. Construire son chemin et se construire tout le long de sa vie. Se tromper, se perdre, rebondir. Tout ceci n’est possible que par l’autre, par l’interaction et par les liens tissés avec les autres. Bien entendu, ça demande de l’engagement, beaucoup d’engagement c’est-à-dire du temps, des efforts, du courage, de l’énergie. On n’a rien sans rien. Mais se donner à fond pour un devenir professionnel (mais pas que vous l’avez compris) auquel on croit, dans lequel on se reconnaît, ça fait sens n’est-ce pas ? L’individuel et le collectif ne s’opposent pas ici, au contraire, ils se nourrissent l’un l’autre, ils sont au service l’un de l’autre. Et je pense que c’est ça « faire société ». A travers mon activité de conseil, je souhaite accompagner des organisations, des projets, des équipes engagés en ce sens. Mon métier n’a de sens que si je contribue un peu à des initiatives qui visent à « faire société » par l’émancipation individuelle et collective. Maintenant, vous avez compris pourquoi je fais ce que je fais aujourd’hui. En mars 2020, c’est le choc. Dans mon prochain article, je vous raconterai la voie que j’ai choisie après le 2ème confinement. C’était fin octobre 2020. [1] Il s’agit d’une association qui accompagne les cadres dans leur reconversion professionnelle dans une optique de long terme (plusieurs années).
[2] Il s’agit d’une entreprise qui accompagne des personnes dans leur repositionnement professionnel dans une optique de court terme (quelques mois maximum). Depuis l’été 2019, je dispose d’un petit site internet « vitrine ». Au moment du choix des photos, je suis alors un peu démunie car mon activité est très abstraite. Le conseil est par nature impalpable, la stratégie encore plus, et auprès d’organisations aussi diverses par les domaines d’intervention, leurs objets que par leurs tailles et leurs statuts juridiques, c’est encore plus délicat à illustrer par l’image. Je me résous à chercher des visuels sur des sites internet qui me sont recommandés pour en acheter quelques-uns et ainsi habiller un peu mes pages. Et voilà que je tombe sur ces lanternes chinoises qui m’évoquent les immenses joies de l’émerveillement enfantin que j’ai eu la chance de ressentir, et qui m’ont donné une force incroyable toutes ces années. Ces lanternes m’orientent naturellement vers Les Lumières, donc vers la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et du Citoyen. Instinctivement, j’illustre cette intention par « tous les hommes naissent libres et égaux en droits ». Cette phrase reflète la chance que j’ai eu de naître et de vivre dans ce pays qui est le nôtre. Malgré toutes les insuffisances, tous les dysfonctionnements, toutes les imperfections, tous les paradoxes constatés depuis longtemps. Malgré la place de plus en plus prépondérante (re)donner à l’économie de marché et à la dérégulation depuis plusieurs décennies maintenant et malgré la menace que cette tendance fait planer sur notre démocratie - il est toujours bon de rappeler pourquoi l’économie non marchande est tout à fait capitale dans nos vies : la poursuite de la justice sociale, étroitement liée à la justice fiscale et plus largement à la redistribution. Malgré la trop faible prise en compte des enjeux climatiques et écologiques[1] dans nos politiques publiques nationales, européennes et internationales, je suis restée confiante en notre démocratie pour relever les défis qui s’imposent à nous. Bref, par-dessus tout ça, je suis emprunte de notre triptyque républicain non pas uniquement parce que j’y crois, mais que je le vis dans ma chair depuis que je suis en âge de construire ma vie. Liberté, égalité, fraternité. Les trois plus beaux mots, les trois plus belles valeurs au monde. J’aime ces mots et ces valeurs au plus profond de mes tripes. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi. Mes racines familiales sont d’une grande modestie. Paysannes du côté de mon père qui est donc issu du milieu rural. Mes grands-parents avaient une petite ferme et mon père se plaisait toujours à dire qu'ils étaient « polyculteurs en autoproduction » et donc en autoconsommation. En clair, ils produisaient pour répondre aux besoins de leur famille (8 enfants) et revendaient leurs petites récoltes tout en vivant sainement et correctement. Ouvrières du côté de ma mère qui est donc issue du milieu urbain. Ma grand-mère était ouvrière chez Peugeot, elle faisait les 3 / 8, autant vous dire un job pas très qualifié, éreintant, pas très bien payé, mais il fallait bien là aussi nourrir la famille (7 enfants). Mes parents se sont rencontrés lors d’un mouvement de grève. Ils bossaient jusque-là tous les deux dans la même boîte sans se connaître. Ma mère à la compta et mon père à la production. Ils n’ont jamais pris leur carte dans aucun parti politique, mais je me souviens qu’ils parlaient parfois du PSU (c’est-à-dire du Parti Socialiste Unifié). En revanche, ils s’étaient syndiqués à la CFDT, à l’époque présidée par Edmond Maire. Ils ont fini par obtenir leur réintégration dans les effectifs de l’usine. Ils auront l’un et l’autre une carrière professionnelle modeste en restant plus ou moins sur des fonctions similaires jusqu’à la retraite. Nous ne manquerons jamais de rien à la maison, mais on compte nos sous. Les vacances, c’est soit chez les cousins dans le Limousin soit avec des amis plus fortunés qui jouent la carte de la solidarité en finançant un peu plus que leur part. Vous l’avez compris : mes parents, comme leurs parents avant eux, sont des « petites gens ». Comme des millions et des millions qui peuplent notre pays aujourd’hui, des gens honnêtes, des gens qui ont le « cœur sur la main ». Des gens qui m’ont appris le sens du mot démocratie, le sens de notre triptyque républicain, le sens des services publics, le sens des cotisations sociales, le sens des impôts. Bref, le sens de la politique dans son acception la plus noble. Le sens de la solidarité, le sens de l’ouverture à l’autre aussi, dans toutes ses différences, dans toutes nos différences qui sont la richesse de notre vie et de notre mode de vie. Je suis née dans cette famille-là, dans ce milieu social-là. Humble et digne. Malgré ces cartes qui m’ont été données à la naissance et qui pouvaient laisser penser que mon propre horizon serait au mieux commun à celui de mes parents, j’ai eu la chance de m’émanciper. Et je continue à m’émanciper encore aujourd’hui. Cette émancipation va-t-elle se poursuivre ? Les enfants et les jeunes qui sont en train de poser les bases de leur vie vont-ils bénéficier des mêmes chances que moi ? Rien n’est moins sûr. Cette émancipation, je la dois à un nombre incalculable de personnes. A autant de rencontres qui m’ont été données de faire parce que j’ai vécu et parce que je vis encore en France aujourd’hui. Je ne vais pas toutes les citer, je vais simplement vous esquisser les principaux facteurs d’émancipation qui ont été les miens. J’arrive dans la commune de Quetigny à l’âge de 4 ans, en 1986. Ça n’a l’air de rien, mais l’école maternelle que j’intègre s’appelle Nelson Mandela. Elle est à quelques minutes à pied de la maison. J’ai le souvenir d’un jour où je suis en train de prendre le goûter dans la cuisine. Et je demande soudain à ma mère « Maman, c’est quoi Nelson Mandela ? ». Et ma mère commence à me raconter. L’Afrique du Sud, l’Apartheid, le combat pour l’égalité, l’emprisonnement de cet homme, dont je comprends qu’il est encore derrière les barreaux à l’heure où on parle. Je n’ai alors jamais vu ma mère dans cet état de passion. Elle a les yeux qui pétillent. Apprendre à l’âge de 5 ans que pour être un héros (aux yeux de sa mère) il va falloir se battre quitte à se faire emprisonner, ça place légèrement la barre à 6 mètres, et c’est évidemment très marquant. Je complète cette anecdote par une autre : en dernière année de maternelle, je suis hospitalisée pendant plusieurs semaines pour une maladie qui était inconnue à l’époque et qui va s’avérer bénigne. Après plusieurs consultations auprès de notre médecin généraliste, c’est un hôpital public qui me prend en charge. L’hôpital pour enfants de Dijon. Cette interruption de scolarisation n’aura pas de conséquence pour la suite. Voilà pour la mise en bouche. Voici maintenant une « auto-analyse » des facteurs que je considère comme les plus puissants, les plus importants dans mon émancipation. D’abord bien sûr il y a l’école primaire. Une école publique, à taille humaine. Je me souviens dans cette école, il y avait un instituteur particulièrement engagé et d’une pédagogie exceptionnelle. L’ouverture au monde a véritablement démarré ici à travers l’accueil de Maliens dans le cadre d’un jumelage avec Koulikoro. Et l’initiation à la démocratie a également commencé dans ces salles de classe lors d’une mise en situation sur une élection, avec des votes, lors d’un cours d’éducation civique. Très vite, je sens que l’école va être essentielle dans ma vie. Je suis un peu étourdie au départ, mais en travaillant je progresse bien et je vais rapidement me prendre de passion pour apprendre, pour le fait d’apprendre. A cet âge, l’école ne sera donc pas une corvée pour moi. Ensuite, il y a l’éducation populaire avec la pratique sportive dès l’âge de 7 ans. Pendant près de 15 ans, je vais fréquenter ce club de sport en mêlant pratique individuelle et pratique en équipe. Je commence l’encadrement après deux blessures successives qui me font renoncer à la pratique pendant un an. Et je me forme. A-t-on déjà assez dit combien les équipes bénévoles et professionnelles engagées dans les associations sportives françaises constituent le terreau de notre société en accueillant, en encadrant, en encourageant et en formant la jeunesse depuis des décennies partout dans le pays ? Qui a véritablement compris le rôle crucial que ces gens-là jouent dans la vie des enfants, des jeunes, dans la vie de leurs parents, dans la vie de chacune et de chacun d’entre nous parfois depuis notre plus tendre enfance ? Le lycée jouera un rôle important notamment avec quelques enseignants tout à fait exceptionnels dans leur discipline, dans leur posture avec les élèves, dans leur capacité à nous donner envie d’aller de l’avant, de nous projeter dans l’avenir. C’est un lycée public en zone qu’on qualifie parfois de péri-urbaine. C’est également un lycée « sportif ». Du côté de mon « projet professionnel », à la fin du lycée, c’est le néant. Je n’ai aucune idée de ce que je veux faire. Mais je souhaite travailler rapidement donc je ne veux pas me lancer dans des études trop longues. Mon professeur principal me conseille un DUT en gestion en m’expliquant que la comptabilité et compagnie, il y en a besoin un peu partout et que ça m’ouvrira donc pas mal de portes. Je suis son conseil mais à la fin du DUT, même situation. Je passe une équivalence avec un DEUG pour arriver en Licence, en fac donc. C’est cette année-là que je tombe sous le charme du commerce équitable en regardant un documentaire. Enfin des perspectives qui vont me permettre d’être en accord avec moi-même, avec mes valeurs. Nous sommes en 2003, j’ai 21 ans. Dans mon prochain article, je vous raconte ce qui s’est passé pour moi à partir de là. [1] Enjeux que j’ai compris moi-même à l’âge de 21 ans en participant à un concours d’entrée dans une école bordelaise, qui comportait un dossier sur ce thème justement, avec des documents sur le sommet de Rio, je crois que c’est 1992, et aussi un document sur l’intervention de Jacques Chirac disant que « notre maison brûle et nous regardons ailleurs », 10 ans plus tard.
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Claire GOICHOT
Fondatrice d'Engagilité Conseil & Consultante en stratégie pour l'ESS ArchivesCatégories
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